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T2- PETROLE, CULTURE DU RISQUE, ET DEVELOPPEMENT TERRITORIAL

© S. Desprats Bologna Oscar

Responsables  : M. Saqalli (GEODE) et S.Becerra (GET)

Participants  : J.Gardon, E.Cadot (HSM), Ch. Kephaliacos, D. Requier-Desjardins, L.Orozco Noguera, J.P Delcorso (LEREPS) ; N. Maestripierri (GEODE)

Objectifs : évaluer et spatialiser les représentations sociales des risques sanitaires et environnementaux et les stratégies des ménages pour faire face aux contaminations pétrolières

Livrables  : articles de rang A ; rapport d’évaluation avec recommandations ; cartographie ; analyse statistique des impacts socio-sanitaires

Méthodes  : zonages à dires d’acteurs, questionnaires, entretiens, analyse documentaire

Risques : accès aux communautés ne résidant pas sur l’axe routier. La collaboration avec les associations locales ainsi que les centres de santé des deux paroisses étudiées facilitera l’accès aux familles et pourra constituer un soutien pour la passation des questionnaires. La présence simultanée sur le terrain des sociologues, économistes, médecin et géographes du projet et l’élaboration concertée des grilles d’entretien et questionnaires permettra d’assurer la cohérence et la faisabilité du recueil de données.

Questionnement de fond

La vulnérabilité sociale aux impacts et risques produits par les activités pétrolières dépend non seulement de l'exposition à la pollution mais aussi des conditions socio-économiques (préalables) de vie et des « dispositions sociales » pour faire face aux risques environnementaux (Becerra 2012; Becerra 2015), parmi lesquelles la « culture du risque ». Inspirée des travaux de Giddens, la « culture du risque » est définie ici comme l'articulation entre la conscience et la connaissance (empirique et/ou technique) des risques, les pratiques adoptées en conséquence et les stratégies pour se protéger et organiser sa vie future. La culture du risque est donc ici le « capital » pratique mobilisable pour affronter les risques : « capital » parce qu’un individu peut l'accumuler au cours du temps et, dans une certaine mesure, le transmettre aux générations suivantes. Nous y incluons les perceptions/représentations des risques : la manière d'imaginer un risque n'est pas uniquement une perception sensorielle dans la mesure où elle implique un jugement qui influence les décisions et les comportements face au danger.

L’hypothèse de base est que, sur le territoire étudié, les populations ne sont pas uniformément vulnérables à la contamination et qu’elles ont une capacité hétérogène pour en atténuer les impacts ou s’y adapter: elles sont donc inégalement disposées à faire face. Les populations ont développé une culture du risque de contamination. Dans la représentation sociale du territoire, les perceptions et représentations des risques (parmi lesquels ceux liés à la contamination) influencent donc le comportement d'auto-défense et de prévention contre la contamination et ses impacts. On fait l’hypothèse que parmi les risques vécus par les populations, l'importance du risque économique à court terme sur les comportements est plus grande que celle des risques pour la santé associés à la pollution de l'environnement.

On ne sait pas grand-chose sur la culture du risque de contamination des populations d’Amazonie ; ainsi notre recherche souhaite répondre aux questions fondamentales suivantes : Comment se structure cette "culture du risque de contamination"? Comment se transmet-elle d'une génération à l'autre? Quel rôle occupent les familles, l'appartenance ethnique, le genre et les réseaux sociaux dans cette transmission? Quels liens existent entre culture du risque et impacts vécus de la contamination ? Entre culture du risque et contexte de développement local? Entre culture du risque et capacité politique des gouvernants (T4)?

© S. Desprats Bologna Oil barrels after a pipe break

Pour observer concrètement cette culture les enquêtes de la tâche 2 devront informer les thématiques suivantes:

1 /Rapport au risque défini par les perceptions et les représentations (de la santé, de l’environnement, des activités pétrolières et des risques); les comportements actuels pour gérer la pollution et le « consentement à recevoir » (accepter les impacts)

2/ Valeurs et capacités d’action et d’initiative transmises aux générations suivantes

3/ Visions et stratégies pour le futur : capacité à faire des projets ; prospective sur sa propre vie sur le territoire

T2.1. Evaluation qualitative des représentations sociales des impacts sanitaires et environnementaux liés à l’exploitation pétrolière (GET, GEODE)

Il s’agira d’abord de comprendre les perceptions et représentations sociales du risque de contamination parmi d’autres risques notamment sociaux et économiques et comment elles influent sur les motivations à se protéger, les stratégies de sécurisation ou les relations aux autres acteurs. Il s’agira également d’identifier et de spatialiser les pratiques sociales et les activités économiques qui participent à réduire ou à augmenter l’exposition directe et indirecte aux contaminations : pratiques d’usage et gestion des ressources naturelles, de mobilité, d'hygiène et de santé, ainsi que les pratiques alimentaires. Elles renseignent la perception du risque et les enjeux sociaux en arrière-plan.

Méthodologie : On adoptera d’abord une approche sociospatiale en utilisant le zonage à dires d’acteurs (Saqalli et al, 2009) : un outil de diagnostic socio-spatial qui vise à étudier les perceptions des acteurs à partir d’entretiens avec la population et en s’appuyant sur une carte locale  sur laquelle une feuille transparente est placée et sur laquelle les personnes interrogées peuvent localiser les spécificités territoriales au regard de la thématique choisie. Le zonage permet : 1/de hiérarchiser les variables (sociales, économiques, environnementales) décrivant la zone d’étude du point de vue des acteurs ainsi que les dynamiques qui l'affectent; 2/la description des zones délimitées grâce aux variables précédemment renseignées ; 3/la collecte d'informations factuelles sur chaque zone. Le zonage pourra ici aborder différents thèmes : les sources de contamination, les ressources naturelles vulnérables, les risques pour la santé, les infrastructures de base permettant de se protéger, les communautés vulnérables. Nous procéderons ensuite à une étude qualitative à partir d’entretiens semi-directifs avec les populations dans les zones identifiées précédemment comme les plus vulnérables par les personnes interrogées afin d’approfondir certaines questions. En parallèle, les résultats du ZADA et des entretiens seront mis en perspective avec les activités économiques (sous-tâche 2.4) et l’occupation du sol (tâche 3) sur le territoire étudié.

T2.2. Stratégies des communautés et des ménages pour faire face (LEREPS, GET)

Les populations ne sont pas des récepteurs passifs d’une contamination mais des acteurs sur un territoire contaminé ayant des pratiques et des stratégies propres de survie et d’adaptation. Cette adaptation ne concerne pas uniquement l’impact des contaminations pétrolières mais également les risques et opportunités économiques générés par des trajectoires de développement territorial intégrant les activités pétrolières. Le but sera de comprendre la capacité de mobilisation locale (ressources et limites), en identifiant les mesures prises et stratégies curatives et/ou préventives des ménages mais aussi plus largement des communautés.

Méthode : On adoptera une approche qualitative par entretiens approfondis avec des ménages localisés dans les zones préalablement identifiées comme étant les plus vulnérables grâce au zonage à dire d’acteurs; ces entretiens devront permettre : 1/d’identifier les systèmes de moyens d’existence des ménages concernés, de façon à identifier des types de stratégies possibles et 2/de cerner la diversification des activités et des sources de revenu au sein des ménages dans les territoires considérés et la place des activités liées au pétrole (directement ou indirectement) dans cette diversification. Dans la mesure où il ne sera pas possible de travailler sur un échantillon statistiquement représentatif des ménages pour des contraintes de temps et de moyens, l’objectif est d’identifier différents types de stratégies face à l’impact des activités pétrolières. L’approche sera complétée par des analyses documentaires et l’observation directe des pratiques.

© S. Desprats Bologna School celebration. Students wear traditional Amazonian fancy dress (Pacayacu, Ecuador).

T2.3. Evaluation quantitative des impacts socio-sanitaires (HSM)

Nous faisons l’hypothèse que la pollution environnementale – apparente dans ces communautés depuis les années 70 – a modifié la perception de l’état sanitaire comme les attitudes et les croyances en termes de santé. Nous conduirons des enquêtes quantitatives auprès de la population adulte de trois paroisses (les deux paroisses choisies comme exposées plus une paroisse témoin non exposée). Un total d’environ 900 individus (300 par paroisse) sera nécessaire pour mettre en évidence des différences significatives entre individus exposés et non exposés. Un questionnaire sera administré par des enquêteurs formés et qualifiés en face-à-face ; il comportera des échelles et instruments de mesures validés dans la littérature pour estimer différents indicateurs comportementaux, sociaux, démographiques et sanitaires. Dans cette étude, les variables d’intérêt (à expliquer) incluront trois aspects liés à la santé et aux comportements face à la santé susceptibles d’avoir été modifiés par le contexte social et physique de l’exploitation pétrolière. En premier lieu, le stress perçu sera estimé par une échelle globale comprenant 10 items (Cohen, 1983). La santé perçue sera estimée par la question standardisée de l’OMS « Comment est votre état de santé général ? Â» qui comporte 5 niveaux de réponses (très bon, bon, moyen, mauvais, très mauvais). Enfin, les croyances et attitudes face à la santé seront plus particulièrement évaluées vis-à-vis de la gestion de l’eau, principale source de contamination dans les deux paroisses choisies comme zone d’étude exposée. Le modèle de croyance de santé – leHealth Belief Model(HBM) – est un modèle psychosocial qui tente de prévoir les comportements des individus en s’appuyant sur leurs croyances et leurs attitudes. Développé dans les années 50 pour expliquer les différences de participation à des programmes de santé publique, il est de nos jours très utilisé pour évaluer des comportements à risques dans le cadre de l’épidémie de VIH/Sida. Les principales dimensions explorées par cet instrument (Rosenstock et al. 1974) concernent la perception de la menace (sévérité et susceptibilité de tomber malade), les avantages perçus de l’adoption d’un comportement de prévention, les barrières (conséquences négatives potentielles), l’auto-efficacité (croyance en sa propre capacité à adopter un comportement et à en tirer des bénéfices). Cet instrument sera spécifiquement adapté aux comportements vis-à-vis de l’eau et de la contamination chimique qui seront par ailleurs interrogés comme variables explicatives. Les variables indépendantes (explicatives) se réfèreront à l’exposition des individus qui sera estimée par les usages de l’eau (boisson, usages domestiques, etc.), mais aussi par la distance à la principale source de pollution ou, encore, la durée de résidence. La perception du risque sanitaire pétrochimique sera estimée par une échelle de 4 items validée dans la littérature (Cutchin et al., 2008). Le rapport à l’environnement sera estimé par des questions portant sur l’appréciation subjective des individus vis-à-vis de leur lieu de résidence. Enfin, nous inclurons différents déterminants sociaux et économiques individuels, classiquement appréhendés comme de potentiels facteurs de confusion : le statut marital, la composition de la famille, l’âge, le genre, le niveau d’éducation, la consommation de tabac, l’ethnie, les revenus et le support social (échelle de Sherbourne et Stewart, 1991). Le traitement des données permettra notamment d’estimer et de comparer les forces d’association dans les différentes sous-populations d’individus (exposés / non exposés). Nous réaliserons des analyses descriptives puis multivariées en testant l’effet de chacune des variables. Pour chaque variable d’intérêt nous sélectionnerons les variables indépendantes par dimensions (statut socio-économique, situation familiale, perception du risque, etc.), puis nous estimerons les modèles finaux en analysant les interactions et les performances des modèles.

Cette étude ponctuelle ne permettra pas de répondre à la polémique née autour des observations de San Sebastian (voir § 2.2). Cependant, elle facilitera la formulation d’hypothèses sur les liens entre contamination par les hydrocarbures et morbidité qui permettront le développement ultérieur d’études épidémiologiques de type cas-témoins ou cohortes prospectives en fonction des incidences attendues. A terme, nos partenaires équatoriens souhaitent mettre en place un observatoire de la santé, incluant des registres de cancers et de malformations. Nous pensons que l’étude proposée dans MONOIL apportera des arguments solides pour renforcer l’intérêt pour des études sanitaires et favoriser l’adhésion des populations comme des autorités.

T2.4.Analyse économique de l’impact des activités pétrolières sur les dynamiques de développement régional (LEREPS)

© S. Desprats Bologna Cacao endommagé

L’objectif est de replacer l’activité pétrolière dans la trajectoire de développement territorial des zones étudiées, en caractérisant son intégration dans le système territorial des activités productives et son impact sur la vulnérabilité économique des groupes de population concernés. Le degré de cette intégration sera évalué non seulement au moyen de mesures économiques telles que la création de richesses locales, la diversité des secteurs d'activité, les complémentarités entre ces secteurs, leurs apports en termes d'emplois plus ou moins stables mais également la présence plus ou moins forte d'externalités environnementales liées à l'activité pétrolière. Il s’agit de cerner ces éléments en se situant à un niveau spatial correspondant à la définition du territoire comme un espace fortement lié à une population, un espace vécu, produit et pensé (Di Meo, 1998) par cette population. Cependant, l’information disponible risque de renvoyer avant tout à des circonscriptions administratives (parroquiasou provinces) qui seront de fait les échelles d’analyse privilégiées. Nous appliquerons successivement deux outils d’approche économique des territoires :

(1)-Au niveau du système productif des territoires concernés (systèmes productifs locaux):

1/Identification de l’offre en biens et services, des activités économiques structurantes (en dehors du pétrole) et caractérisation du rôle de l’activité pétrolière dans la (dé)structuration de ce système (opportunités pour certaines filières, concurrence dans l’usage des ressources ou la main d’œuvre, etc.). 

2/Une analyse territoriale spécifique sera consacrée à l'agriculture dont la dépendance aux ressources environnementales est généralement plus forte.

(2)-Au niveau de la constitution d’un circuit économique local:

1/Identification de la base économique des territoires dans la perspective ouverte par la théorie de la base (Archer, 1976 ; Andrews, 1953, Davezies, 2008). On peut faire l’hypothèse qu’il y a deux grandes composantes de la base productive, le pétrole et les activités agricoles « d’exportation Â» extra-territoriale, soit dans un cadre d’agriculture familiale, soit dans un cadre d’agriculture d’entreprise (palmier à huile ?). Il faut aussi s’interroger sur l’existence d’une base « résidentielle Â» alimentée notamment par les transferts publics ou privés et peut-être par des activités comme le tourisme (écotourisme notamment).

2/Caractérisation du potentiel de création de revenus de l’activité pétrolière et de son effet multiplicateur sur le développement d’activités domestiques (au sens de la théorie de la base économique territoriale) : Evaluation du « syndrome hollandais Â» à l’échelle locale du fait du changement du système des prix relatifs (pouvant porter préjudice à d’autres activités) ; caractérisation du rôle et de l’influence (objectifs et moyens) des organisations locales (professionnelles, droits de l’homme) dans le développement local la conservation et la valorisation des ressources.

Méthodologie : Collecte des informations disponibles à l’échelle territoriale sur ces différents éléments ; Entretiens qualitatifs et semi-directifs avec des personnes ressources ; Etude spécifique sur l’impact de l’activité pétrolière sur l’agriculture (enquête auprès d’un échantillon d’exploitations agricoles).